Témoignage 4
Monsieur,
Les
hasards de l'internet m'ont fait découvrir votre site alors que, par curiosité,
je cherchais s'il l'on pouvait trouver quelque chose à propos de l'Ecole X,
sur le réseau des réseaux. C'est que je
suis moi-même un ancien élève de cette institution peu banale.
Vous
témoignez du grand échec que fut pour vous le passage dans cette école, et vous
ne taisez pas les souffrances qu'il a occasionnées. Je suis heureux de lire un
tel compte rendu dans la mesure où j'avais fini par croire que l'école X
n'avait suscité, de la part de ceux qui l'avaient fréquentée, aucune
rébellion...
Dirais-je
que je partage votre extrême sévérité ? Permettez-moi, avant de répondre, de me
présenter un peu. Descendant d'une famille de la grande bourgeoisie, mais
marqué par les ferments de "décadence" viscontienne qui s'y étaient
introduits au fil du temps, je dois d'abord préciser que mon portrait est fort
éloigné de celui de l'ancien élève type de M. X (dont je garde d'ailleurs un
vif souvenir). Jugez-en plutôt : franc-maçon, agnostique, presque décidé à
demander qu'on me "débaptise" tant m'agacent certaines prises de
positions de Rome, amateur de beaux garçons plutôt que de jolies filles,
diplômé de philosophie mais nullement thomiste, politiquement à gauche
(et presque d'une gauche très radicale tant j'ai horreur de la
sociale-démocratie), je me range dans la catégorie de ceux que les
flammes de l'enfer ne devraient pas épargnés. Mais je suis aussi un parfait
sceptique et un homme à paradoxes. Je me flatte, même si je n'y suis pour rien,
de descendre soixante fois d'Hugues Capet, et la mythologie bêtifiante de la Révolution
Mais
j'en reviens à notre sujet. J'ai été envoyé fort jeune à l’école X (j'avais six
ans) et, pendant les trois années que j'y ai d'abord passées, j'ai joui d'un
relatif traitement de faveur. L'abbé X m'avait à la bonne, quant à l'abbé Y, il
s'occupait des "grands". Mais ce que vous dites des claques est vrai
; j'ai vu voler en plein réfectoire des gifles magistrales que je n'oublierai
pas. Quant aux coups de ceinturon, j'en ai entendu parler. Etais-je heureux ou
malheureux à cette époque ? Je ne saurais dire. Guère heureux, sans doute, mais
point malheureux non plus. C'est quelques années plus tard, lorsque je suis
retourné à Saint-Michel en classe de cinquième, que j'ai beaucoup souffert. Je
n'avais nul souci avec l'abbé X ;
en revanche, l'étrange corps professoral - dont vous dites bien l'incroyable
bigarrure - ne me comprenait guère, et c'était réciproque. Quant au fameux
Frère X. - vous voyez de qui je veux parler -, ce que je pourrais en dire
ici me mènerait au tribunal pour diffamation. En fait, ce furent surtout mes
camarades qui me firent subir les pires avanies : jugeant que mes manières
étaient efféminées, ils m'ostracisèrent en permanence et ne m'épargnèrent
aucune rebuffade (à quelques exceptions près, bien sûr). J'en ai souvent versé
des larmes amères après que la lumière fut éteinte dans les grands dortoirs où
l'on nous parquait la nuit.
Dieu
merci (...), je poursuivis ma scolarité à Saint-Joseph des Carmes. Fut-ce l'influence
du climat ? J'y ai mieux vécu. Il y avait là, naturellement, toutes sortes de
cas : mais je ne m'y suis pas fait que des ennemis. Et il y avait, dans le
personnel de direction, un homme remarquable par sa largeur d'esprit, qui
acceptait parfaitement que je n'aie pas la foi (cela ne m'empêchait pas d'aller
à la messe trois fois par semaine, comme les autres), et avait bien compris que
je n'étais pas tout à fait comme les autres. De même, j'ai eu là de bons
professeurs, et de fort médiocres. Bon élève (quoique atypique), je fus reçu au
baccalauréat avec mention bien et admis en hypokhâgne.
Cette
éducation réactionnaire (point amusante tous les jours) a-t-elle été
exclusivement négative ? Elle a développé chez moi l'esprit critique, et m'a
donné du goût pour la subversion. Ce n'est pas si mal. Cela dit, elle m'a aussi
coûté très cher sur le plan psychologique. Eût-ce été mieux dans un lycée
public ? Je n'en sais que trop rien, tant mon cas me paraît singulier. Dans un
bon lycée, probablement ; dans un lycée médiocre, ce n'est pas sûr.
Quant
à la discipline qui régissait ces établissement, je la juge aujourd'hui avec
nuance, au vu de mon expérience de professeur de l'enseignement public. Il va
de soi que c'était étouffant et anachronique. Pour autant, je n'oublie pas que
l'homme est fait d'un bois tordu, et que l'éducation doit le détordre. La
licence qui règne aujourd'hui dans les lycées ne mène à rien non plus, et c'est
la possibilité d'une instruction qu'on finit par mettre en péril. Croyez que
j'en sais quelque chose. Je n'ai aucun goût pour la chose militaire, je suis
même libertaire à mes heures, mais je crois que la liberté se conquiert. Si mes
chers élèves devaient porter blazer et cravate, ils laisseraient probablement à
la porte du lycée la part détestable de la jeunesse que notre société leur a
fabriquée.
Bien
sûr, cher Monsieur, mon expérience rejoint la vôtre - encore que par d'autres
chemins. Mais je me refuse à me laisser aveugler par la force du rejet que peut
m'inspirer l’école X et ses monstres.
Très
cordialement.